« Editorial du Monde. » Après les bravades, les larmes et les outrances, Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », président du Brésil de 2003 à 2011, a obtempéré. Vendredi 26 janvier, ses avocats sont venus remettre le passeport de l’ancien chef d’Etat aux autorités policières de Sao Paulo. Cette mesure était réclamée par un juge de Brasilia, au lendemain de sa condamnation à douze ans et un mois de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent.

Une humiliation de plus pour l’ex-syndicaliste, figure de la lutte ouvrière sous la dictature militaire (1964-1985), qui fut l’un des plus grands dirigeants politiques du pays et la star des sommets internationaux au temps de sa splendeur. Le sort de Lula, « père des pauvres » dont la politique sociale a sorti des millions de Brésiliens de l’indigence, déchaîne les passions.

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 Ses alliés protestent de son innocence et le défendent tel un dieu tandis que ses ennemis le considèrent comme un bandit. En dépit des étrangetés avérées de la procédure judiciaire, il n’est pas absurde d’imaginer que l’ancien métallo et son Parti des travailleurs aient, à l’instar de leurs prédécesseurs, succombé à la tradition clientéliste du système politique brésilien. Déjà, en 2005, le scandale du « mensalao » (l’achat de voix de parlementaires) avait failli lui coûter sa réélection. Et, au-delà de cette première condamnation, Lula fait également l’objet de huit autres procédures judiciaires.

Immunité dévoyée

Mais le malaise grandit depuis l’« impeachement » controversé, en 2016, de la présidente Dilma Rousseff, héritière et successeure de Lula. Loin de servir la cause de l’éthique promise depuis le déclenchement de l’opération anti-corruption « Lava Jato » (« lavage express »), la disgrâce de Lula offre le spectacle affligeant d’un vieux monde politique en déliquescence.

Au moment où les juges prononçaient la sentence contre l’ex-métallo, l’actuel président, Michel Temer, participait au sommet de Davos, tentant de faire oublier les lourdes accusations qui pèsent contre lui : corruption passive, participation à une organisation criminelle et obstruction à la justice.

Jusqu’à présent, le chef de l’Etat est parvenu à suspendre les procédures qui le visent au prix d’un marchandage éhonté avec des parlementaires, eux-mêmes en délicatesse avec la justice. Au Congrès brésilien, pas moins de 45 sénateurs sur 81 doivent répondre d’accusations criminelles, pointe le site Congresso em Foco, qui scrute l’activité parlementaire. Rien de neuf. « Lava Jato » n’a fait que mettre en lumière des pratiques bien antérieures à l’arrivée au pouvoir de Lula.

Après les manifestations monstres de 2015 et 2016 réclamant au nom de la « morale » le départ de Dilma Rousseff, les scandales, dignes d’un film de série B, mêlant mallettes d’argent sale et tractations en sous-sol, se sont succédé au point d’étourdir les Brésiliens. Mais le statut de foro privilegidao (« citoyen privilégié ») protège les politiciens en fonctions ; l’immunité dont ils bénéficient, légitime dans son principe, est dévoyée et instrumentalisée avec le plus grand cynisme.

L’élite de Brasilia baigne dans un climat d’impunité de nature à écœurer le peuple. A quelques mois de l’élection présidentielle, le Brésil, pays parmi les plus inégalitaires au monde, renvoie l’image d’une société de castes où les dirigeants n’obéissent pas aux mêmes lois que les miséreux. C’est indigne et dangereux pour la plus grande démocratie d’Amérique latine